– C’est impossible !
– Ce qui veut dire que vous n’avez pas le choix ?
– On ne plaisante pas avec le code d’honneur, c’est la

règle et il est inutile d’essayer de s’y soustraire .

– Vous n’avez jamais eu envie de choisir un autre mé-

tier, devenir entrepreneur ?

– Mais je suis un chef d’entreprise, ce que beaucoup

de gens ignorent c’est que la Mafia est un grand pour-
voyeur d’emplois.

– On peut parler d’emplois précaires, rarement de

longue durée ?

– Que voulez-vous, nous ne sommes pas le SAMU

social ce qui ne nous empêche pas d’avoir nos bonnes
œuvres.

Stefano qui ne manque pas d’humour semble de plus

en plus à l’aise. Il jubile en ponctuant ses phrases de pe-
tits sourires carnassiers. Il est content de lui et compte
bien profiter de la présence de son visiteur pour balan-
cer quelques flèches contre ce quatrième pouvoir que
représentent la presse et les médias, qui selon lui ne
relate que les faits divers pour faire vendre leurs tor-
chons sans jamais parler du rôle social de la respectable
Société.

La Mafia c’est d’abord des hommes et des femmes, le ma-
fieux est une personne respectable qui ne vit pas comme
un malfrat. Sa position est légitimée du point de vue de
la morale populaire, en particulier parce que son activité
ne vise pas simplement à satisfaire ses propres besoins,
mais parce qu’elle assume une fonction de protection et
de médiation, ce qui fait dire avec beaucoup d’aplomb
à Stefano que la Mafia est une organisation honnête.

– Bienvenu dans le clan de la famille Scarcella, je suis

Stefano, l’aîné de la famille et depuis peu chef de notre clan.

Alexandre ne répond pas tout de suite, un œil sur son
client et l’autre sur son enregistreur numérique. Bien
conscient qu’une situation comme celle-là ne se repro-
duira pas de sitôt, il sent qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Il
se prépare à l’interview, règle son magnétophone, gêné
par les battements bruyants de l’horloge, sous l’œil amu-
sé du Parrain.

– Vous entendez l’horloge n’est-ce pas ? C’est une

grosse Comtoise, elle a toujours fait partie de la famille !

– C’est plus joli qu’un coucou suisse !
– Je viens juste de la récupérer, héritage de mon père

lâchement assassiné cette semaine, son tic-tac a accom-
pagné toute mon enfance !

– Je suis désolé pour votre père !
– Le sang versé sera vengé par le sang !

Voyant que la glace est rompue, Alexandre se lance sans
hésiter dans un exercice qu’il aime particulièrement,
laisser la parole aux gens. Il est bien conscient que sa
démarche n’est pas celle d’un journaliste, il n’est pas
un virtuose de l’interview, tant pis pour Marco et pour
la rédaction du « Provincia Giornale », mais puisqu’ils
veulent du changement, ils vont en avoir !

– En deux mots, c’est quoi la Mafia ?
– Derrière ce mot, se cachent de grandes familles for-

mant des clans au sein desquels le patriarche choisit son
héritier ou son héritière, car il y a aussi des filles qui hé-
ritent de la charge.

– Et si vous refusez ?