background image

30

31

Du gravier crisse sous ses chaussures, il bute sur une 

marche. Une porte s’ouvre. Grincement d’un parquet sous 
ses pieds. Il y a des gens qui parlent doucement, puis se 
taisent : quelqu’un vient d’entrer dans la pièce. Un homme 
à la voix calme et profonde s’adresse à ses hommes :

– Il n’est pas armé ? Pas de téléphone portable ni ap-

pareil photo ? Je suppose que tu as vérifié ? Aldo, ré-
ponds-moi !

– Il n’a pas d’arme, il a juste ce petit magnétophone.
– C’est bon, enlève-lui son bandeau et laisse-nous ; 

mais toi, tu restes dans la pièce à côté.

Le temps de s’adapter à la lumière et Alexandre peut en-
fin mettre un visage sur ce qui jusque-là n’était qu’une 
voix. Au premier coup d’œil, il lui donne la quarantaine, 
pas très grand, un peu rondouillard, brun de peau, che-
veux noirs, pareil pour les yeux, et un visage doux. Un 
personnage romantique tout droit sorti d’un opéra de 
Verdi. Tout le contraire de ce que nous montrent quelques 
fois les médias.

Le grand salon est équipé de meubles rustiques, avec 

aux murs des râteliers où sont accrochés une collection 
impressionnante d’armes à feu. Les fusils de chasse sont 
surplombés par une effrayante tête de sanglier empail-
lée, symbole de la virilité des mâles du clan.

Les deux hommes se découvrent et s’observent, l’un jau-
geant l’autre en silence. Alexandre est plus grand physi-
quement, côté notoriété il n’arrive pas aux chevilles du 
petit homme brun et frisé, court sur pattes qui le fixe 
avec l’intérêt que pourrait avoir un entomologiste pour 
un cloporte.

De retour à l’hôtel, il passe par la réception, donne le nu-
méro de téléphone du journal et demande qu’on lui passe 
l’appel dans une cabine :

– Pronto Alexandre, c’est bien que tu appelles sur le 

fixe, comment ça se passe ?

– Je suis accroché, c’est pour demain matin !
– Comment te sens-tu ?
– Comme un débutant qui découvre la merde dans la-

quelle son patron l’a foutu !

– Bon, on en reparlera à ton retour !
– Et si je ne reviens pas ?
– Je te serai toujours éternellement reconnaissant !

Quand il arrive sur le parvis de l’église, Alexandre re-
marque tout de suite une grosse berline noire stationnée 
sur le parking. Le chauffeur est connecté par une oreil-
lette à un acolyte déjà à l’intérieur de l’église. À peine 
entré, Alexandre se voit poussé vers la sortie, une main 
de fer l’empoigne et le précipite dans la voiture. Il est 
fouillé mais les malabars lui laissent les mains libres.

Tranquillement, l’homme assis à côté d’Alexandre 

allume une cigarette et ouvre la radio. Vu de l’extérieur, 
on aurait pu croire à une promenade entre copains !

La voiture file à vive allure. Le paysage aride dé-

file le long d’une route qui ignore la ligne droite. C’est 
le moment que choisit l’homme pour enfermer la tête 
d’Alexandre dans une cagoule. C’est en aveugle qu’il fi-
nira le voyage.

Au bout d’un moment, les portières s’ouvrent. Il entend des 
chiens aboyer, puis il sent deux mains qui l’agrippent et le 
font sortir du véhicule. Il est guidé par l’un des cerbères.

16 / 99