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III
Pendant que chauffeur trace vers Taormina, Alexandre
est heureux d’avoir accepté ce travail, et surtout très cu-
rieux de voir à quoi ressemble un chef mafieux.
Il lui reste encore à développer toutes les facettes de
son double jeu pour passer sans tricherie de la fiction au
journalisme. Il lui aurait été sans doute utile de se faire
la main sur un sujet plus facile, mais alors il aurait lou-
pé ce rendez-vous historique. Une occasion pareille ne
se reproduira pas de sitôt, pour rien au monde il ne cé-
derait sa place. Il est plus facile d’obtenir un rendez-vous
avec une rock-star qu’avec la Mafia : le premier se montre
alors que le second se planque !
Perché sur le mont Tauro qui s’avance légèrement dans la
mer Ionienne qu’elle domine, Taormina est une merveille.
Un café au bar de l’hôtel avant que le chauffeur ne reparte.
Une fois seul, il monte dans sa chambre orientée vers la
mer. Cette vue sur le large ravive l’amertume de ne s’être
pas bien occupé d’Arthur son fils, qui navigue sous les
tropiques, sur une mer sans doute aussi bleue. Ce fils re-
belle qui lui manque terriblement.
Lorsqu’il redescend dans le hall pour dîner, il s’arrête
à la réception et récupère son passeport. À sa grande
Alexandre écoute, il ne s’attendait pas à cette situation,
mais que ne ferait-il pas pour Marco ? Il n’avait pas dis-
cuté le jour où il est arrivé chez lui avec son projet d’écri-
ture sur la pieuvre calabraise. En fait, il lui doit tout le
succès de son livre, alors bien sûr qu’il faut accepter cette
proposition.
Et pendant que trotte dans sa tête cette idée, Marco
est déjà passé à l’action :
– Il faut que tu partes à Taormina, tu pourras jouer
le touriste sans éveiller les soupçons en attendant que
je te contacte.
– Pourquoi à Taormina?
– C’est là que se trouve le clan, trouve-toi un bon pré-
texte, une bonne raison pour motiver une rencontre avec
ce parrain dont tu feras le portrait pour le journal !
– Ce n’est pas le même qui nous a planté la dernière fois !
– Mais non, il est mort de vieillesse dans son lit, c’est
tellement rare que j’ai fait un papier sur son enterrement
et reçu des remerciements anonymes !
– Ce nouveau type, tu lui as parlé dernièrement ?
– Oui, la mafia italienne est en pleine restructura-
tion, les vieux cacochymes sont remplacés par de jeunes
boss accros aux réseaux sociaux, celui-là en fait partie !
– On fait quoi maintenant ?
– Je vais réserver l’hôtel, et prévenir Gianni notre
chauffeur, ensuite on passe chez moi en coup de vent
prendre tes affaires et vous filez à Taormina.
– Tu ne perds pas de temps toi au moins !
– Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit
que toute cette aventure n’est pas faite pour te déplaire !
– Je ne fais que rebondir sur ce que tu m’as dit ce ma-
tin : Multam malitiam docuit otiositas.