background image

Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

17

16

Les  deux  photos  étaient  des  clichés  anthropomé-

triques pris par la police après son arrestation. La 
première montrait un jeune homme d’une vingtaine 
d’années avec un œil au beurre noir, tenant d’un air 
narquois une ardoise où étaient inscrits son nom et une 
date. Un jeune homme plein de vigueur, qui semblait dire 
à ses copains : « Ça y est ! Je ne suis plus un débutant ! 
Regardez,  moi  aussi  je  suis  un  caïd  !  »  Il  avait  plutôt 
la mine que l’on arborait sur les photos de pêcheurs où 
l’on tenait un énorme brochet à bout de bras avec un air 
fier  un  peu  ridicule.  Les  yeux,  même  celui  au  beurre 
noir, pétillaient de vie, c’étaient des yeux de gamin sur 
un corps d’adulte costaud aux larges épaules. Mike, sur 
cette photo, avait l’air de se payer la tête du policier en 
train de le photographier. Jack pensa qu’au moment où le 
cliché avait été pris, Mike ne pouvait pas encore savoir 
que le type qu’il avait cogné dans un bar allait passer le 
reste de sa vie dans un fauteuil roulant. Comme le résu-
maient les divers papiers du dossier, la vie de Mike avait 
basculé juste après. Le jeune futur ingénieur en électri-
cité plutôt doué finit en prison pour plusieurs années. 
À sa sortie, ses études interrompues ne lui offrirent rien 
de mieux que de petits boulots d’électricien, et le goût 
pour la drogue contracté derrière les barreaux l’empêcha 
de retrouver une vie normale. Trafic, prison à nouveau, 
cures, bagarres, condamnations…

La  deuxième  photo  montrait  un  vieillard  chevelu 

au visage abîmé et ridé, dont le regard fixait tant bien 

La tête appuyée sur la main, le coude coincé contre le 

rebord de la fenêtre, il considéra les quelques personnes 
présentes dans le bus qui prenait le chemin du retour 
et songea que, décidément, Morgan avait eu raison de 
l’envoyer là-bas. Il était évident qu’il aurait de lui-même 
choisi  un  autre  service,  un  endroit  plus  serein,  où  les 
gens arrivaient comme par hasard. Il sourit en imaginant 
l’hôpital enchanté où les visiteurs iraient voir de gentils 
enfants  qui  ont  fait  une  chute  à  vélo.  La  vraie  vie,  ce 
n’était pas cela, et c’était vers la réalité telle qu’elle était 
qu’il avait décidé de se tourner.

Il allait être servi, songea-t-il en se replongeant dans 

la chemise de carton brun qui contenait les pièces du 
dossier de Mike qu’on avait sélectionnées pour son infor-
mation. Il s’agissait de mauvaises photocopies de divers 
documents  où  un  grand  nombre  de  noms  avaient  été 
effacés. Jack avait ainsi connaissance de l’âge de Mike, 
mais pas de son nom de famille. Il y avait deux photos, 
et  à  elles  seules,  elles  résumaient  le  dossier.  Jack  sut, 
en les regardant l’une après l’autre, qu’il n’apprendrait 
rien d’essentiel en lisant le contenu du dossier. En tout 
cas, rien qui ne soit aussi précis et clair que ce qui frap-
pait  l’esprit  en  fixant  tour  à  tour  ces  deux  images  du 
même homme. Les divers documents communiquaient 
des dates et quelques détails, mais ce n’étaient que des 
rapports rédigés par des médecins qui ne disaient pas 
grand-chose, en fait, pensa Jack.

9 / 129