Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
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Les deux photos étaient des clichés anthropomé-
triques pris par la police après son arrestation. La
première montrait un jeune homme d’une vingtaine
d’années avec un œil au beurre noir, tenant d’un air
narquois une ardoise où étaient inscrits son nom et une
date. Un jeune homme plein de vigueur, qui semblait dire
à ses copains : « Ça y est ! Je ne suis plus un débutant !
Regardez, moi aussi je suis un caïd ! » Il avait plutôt
la mine que l’on arborait sur les photos de pêcheurs où
l’on tenait un énorme brochet à bout de bras avec un air
fier un peu ridicule. Les yeux, même celui au beurre
noir, pétillaient de vie, c’étaient des yeux de gamin sur
un corps d’adulte costaud aux larges épaules. Mike, sur
cette photo, avait l’air de se payer la tête du policier en
train de le photographier. Jack pensa qu’au moment où le
cliché avait été pris, Mike ne pouvait pas encore savoir
que le type qu’il avait cogné dans un bar allait passer le
reste de sa vie dans un fauteuil roulant. Comme le résu-
maient les divers papiers du dossier, la vie de Mike avait
basculé juste après. Le jeune futur ingénieur en électri-
cité plutôt doué finit en prison pour plusieurs années.
À sa sortie, ses études interrompues ne lui offrirent rien
de mieux que de petits boulots d’électricien, et le goût
pour la drogue contracté derrière les barreaux l’empêcha
de retrouver une vie normale. Trafic, prison à nouveau,
cures, bagarres, condamnations…
La deuxième photo montrait un vieillard chevelu
au visage abîmé et ridé, dont le regard fixait tant bien
La tête appuyée sur la main, le coude coincé contre le
rebord de la fenêtre, il considéra les quelques personnes
présentes dans le bus qui prenait le chemin du retour
et songea que, décidément, Morgan avait eu raison de
l’envoyer là-bas. Il était évident qu’il aurait de lui-même
choisi un autre service, un endroit plus serein, où les
gens arrivaient comme par hasard. Il sourit en imaginant
l’hôpital enchanté où les visiteurs iraient voir de gentils
enfants qui ont fait une chute à vélo. La vraie vie, ce
n’était pas cela, et c’était vers la réalité telle qu’elle était
qu’il avait décidé de se tourner.
Il allait être servi, songea-t-il en se replongeant dans
la chemise de carton brun qui contenait les pièces du
dossier de Mike qu’on avait sélectionnées pour son infor-
mation. Il s’agissait de mauvaises photocopies de divers
documents où un grand nombre de noms avaient été
effacés. Jack avait ainsi connaissance de l’âge de Mike,
mais pas de son nom de famille. Il y avait deux photos,
et à elles seules, elles résumaient le dossier. Jack sut,
en les regardant l’une après l’autre, qu’il n’apprendrait
rien d’essentiel en lisant le contenu du dossier. En tout
cas, rien qui ne soit aussi précis et clair que ce qui frap-
pait l’esprit en fixant tour à tour ces deux images du
même homme. Les divers documents communiquaient
des dates et quelques détails, mais ce n’étaient que des
rapports rédigés par des médecins qui ne disaient pas
grand-chose, en fait, pensa Jack.