Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
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gros titres, il s’aperçut qu’il n’y prêtait aucune atten-
tion. Il venait de relire la même manchette trois fois de
suite : il ne cessait de penser à la rencontre du lendemain.
L’appréhension était forte chez Jack. Il n’avait pas prévu
que la charge émotionnelle serait telle que cette rencontre
programmée lui ferait se poser autant de questions avant
même de rencontrer Mike. Arrivé chez lui, il remarqua
à peine qu’il s’agissait du réveillon de Noël et que Lydie,
sa femme, avait quelque peu changé l’ordinaire de leur
repas. Elle éprouva le besoin de le lui rappeler :
— Chéri, tu ne sembles pas exactement t’en rendre
compte. Demain, c’est la nouvelle année…
— Euh, oui… J’avais oublié. Excuse-moi.
— Tu es complètement déconnecté, toi. Nous sommes
le 24 décembre, demain, c’est Noël ! Je pourrais te faire
avaler n’importe quoi quand tu es préoccupé comme ça…
Tu veux m’en parler ?
Jack ne savait pas exactement comment aborder la
question. Il attira sa femme à lui et la serra fort dans ses
bras, plaquant son visage au creux de son épaule, manière
de dire qu’il ne voulait justement pas en parler. Il lui
embrassa le front et lui posa une question sans rapport
avec lui sur son travail, puis ils dînèrent en discutant du
court week-end qu’ils allaient passer près de la région des
Grands Lacs entre les fêtes.
Jack fit bonne figure durant le repas et réussit
presque à paraître naturel aux yeux de Lydie. Ce projet
que mal l’objectif. Une épave, une sorte de vieux voyou
à la limite du clochard. La barbe et les cheveux gris
empêchaient de reconnaître aussitôt le jeune homme
de l’autre photo, mais pas seulement. La résignation
et l’absence de toute joie, de tout élan de vie dans le
regard, poussaient à croire qu’il ne pouvait s’agir de la
même personne. Le gamin était triomphant, et le vieil-
lard défait, vaincu. Il n’y avait plus rien de bravache
dans l’air de Mike sur la seconde photo, si ce n’était ses
larges épaules, mais complètement affaissées. Jack eut
un sursaut en calculant l’âge de Mike sur la deuxième
photo, vieille de trois ans. Il n’avait que quarante-cinq
ans et en paraissait presque soixante. L’alcool et la
drogue l’avaient laminé et usé de façon affolante. En
tout cas, c’était ce que Jack pouvait lire en regardant
les deux photos. Depuis sa dernière arrestation, Mike
était en traitement à l’hôpital central. Il avait échappé à
la prison grâce à une ultime intervention de sa famille,
qui avait payé un avocat pour plaider l’irresponsabilité
mentale et obtenir un placement en cure. Ce placement
s’était transformé en internement avec leur accord. Jack
se demanda si Mike, lui, était d’accord, s’il préférait
vraiment le service psychiatrique à la prison.
Jack descendit à sa station, le dossier sous le bras, qu’il
rangea dans son sac. Il passa à la station-service pour
acheter le journal du soir et deux pintes de lait frais. En
marchant, le journal déplié dans ses mains pour lire les