background image

Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

127

126

— Des linceuls, figure-toi. Ils étaient spécialisés dans 

les linceuls… Et moi, je trouve ça lugubre !

Jack partit d’un grand éclat de rire. Lydie lui dit 

sérieusement qu’il ne devrait pas, et qu’il rirait moins en 
entendant la suite. Elle continua en détaillant la triste vie 
des ouvrières de l’époque, les horaires ahurissants et les 
conditions de travail dangereuses, les doigts coupés par 
les  machines,  etc.  Jack  commençait  à  trouver  l’histoire 
de Lydie à la fois intéressante et complètement à côté de 
la plaque. Il la laissa continuer, surtout pour retisser les 
fils  de  leur  complicité,  qu’il  avait  sentie  en  danger  peu 
auparavant.

— Et le pire de l’histoire du bâtiment, ce n’est pas ça, 

figure-toi. Il y a bien pire !

Ses yeux étaient un peu exorbités, on aurait dit qu’elle 

allait parler du diable. Jack écoutait attentivement.

— Vers  la  fin  des  années  cinquante,  peu  avant  la 

fermeture de l’usine, il y a eu une horrible affaire crimi-
nelle ici. J’ai mis du temps à recoller les morceaux, les 
petites vieilles que j’ai interrogées refusaient d’en parler. 
Il semble que certaines des ouvrières étaient régulière-
ment violées par les deux frères qui possédaient l’usine. 
Tout a éclaté quand une des filles a sauté du toit un hiver 
en laissant une lettre derrière elle qui accusait tout le 
monde : les violeurs, les contremaîtres qui fermaient les 
yeux, etc. Une horreur, je te dis. Moi, si j’avais su tout ça 
avant, j’aurais reconsidéré le fait de venir habiter ici…

avait noté beaucoup d’éléments, une foule de détails qui 
lui avaient échappé dans son propre comportement. Des 
détails qui, pour Lydie, n’avaient pas de sens jusque-là, et 
qu’elle avait raccordés au loft, à leur nouvelle vie ici. Pour 
elle, Jack avait changé depuis la fin des travaux, et il ne 
fallait donc pas chercher plus loin une explication à ses 
changements d’humeur. Un nouveau cadre de vie indui-
sait une nouvelle vie, un nouveau comportement, c’était 
logique pour elle.

Elle se mit à raconter à Jack tout ce qu’elle savait sur 

l’immeuble et son passé. Elle s’était renseignée auprès 
des vieux habitants du quartier, avait effectué de petites 
recherches avec les architectes pour retrouver les plans 
d’origine lorsqu’ils avaient voulu détruire certains 
murs.  Le  bâtiment  avait  été  édifié  en  plusieurs  étapes, 
le  premier  entrepreneur  s’était  cassé  la  figure  pendant 
la construction, au sens propre : il était tombé du haut 
d’un échafaudage. Puis ses fils avaient ruiné l’affaire. La 
structure était donc restée plusieurs années complète-
ment vide, ouverte à tous les vents. Elle servait, paraît-il, 
de grange ou de grenier à grains lorsque les paysans du 
coin manquaient de place. Puis la construction avait été 
achevée et l’usine s’y était installée. Il s’agissait, selon les 
souvenirs d’une vieille femme, d’une usine de textile à 
fort mauvaise réputation. On y fabriquait des vêtements 
d’un genre assez particulier.

— Quel genre de vêtements ? demanda Jack, qui 

sentait que Lydie ménageait ses effets.

64 / 129