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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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— Mais bien sûr que nous sommes plus loin l’un de 

l’autre. Entre ton atelier et mon bureau, il y a presque 
quinze mètres, mais c’est justement pour cela que nous 
avons choisi cet endroit !

Elle le regarda comme s’il ne comprenait pas du tout 

ce qu’elle disait, comme si sa réponse portait sur la météo 
du jour ou les courses de chevaux. Puis elle prit un air 
conciliant, mais forcé, et lâcha :

— Oui, tu as raison, ça doit être cela, en partie au 

moins.

Elle se leva et alla se réchauffer le thé que Jack avait 

préparé plus tôt. Elle changea de sujet et reparla de sa 
journée, glissant à nouveau quelques éléments importants 
sur l’état de la voiture, celui de son compte en banque et 
la santé défaillante de sa mère. Jack se leva et s’emporta.

— Viens t’asseoir, s’il te plaît !
Avec un regard en biais, Lydie revint silencieusement 

s’asseoir. Elle le scrutait maintenant avec un air étonné 
et interrogateur, un peu comme on regarde un enfant qui 
vient de s’énerver hors de propos. Si, parfois, Lydie avait 
des sautes d’humeur et se permettait d’élever la voix, il 
était plus que rare que Jack ose le faire. Cela la rendait 
donc perplexe, et lui aussi, d’ailleurs. Il reprit :

— Je veux que tu m’écoutes. Je ne sais pas si c’est ce 

lieu, je ne sais pas ce qui se passe, mais depuis quelques 
semaines, je me sens bizarre. Il m’arrive des choses qui 
ne m’étaient jamais arrivées auparavant. Jamais je n’avais 
vécu ça et je ne peux plus le garder pour moi.

dire son sentiment sur cet automne, sur leur arrivée dans 
ce  loft.  C’était  exactement  ce  qu’il  craignait  en  déclen-
chant cette conversation, il s’en rendit compte brutale-
ment. Toute cette longue saison de déménagements, de 
travaux, etc., il l’avait vécue comme un moment de pléni-
tude, de bonheur et d’entente. Et voilà que Lydie remettait 
tout en question en quelques mots. Il se dit qu’il aurait dû 
s’exprimer le premier, et en venir tout de suite à Mike et 
aux visites. Lydie reprit.

— Je ne sais pas si cet endroit nous réussit pour l’ins-

tant. Je n’arrive pas à déterminer s’il est bénéfique pour 
nous. Ce que je constate, c’est que c’est en allant ailleurs 
que nous avons vraiment été bien.

Jack esquissa un sourire triste. Il avait mal rien que 

d’entendre les paroles de Lydie. La somme d’incompré-
hensions qui jalonnait sa vie lui parut insurmontable.

— Je croyais que tu te sentais bien ici, tu me l’as dit 

plusieurs fois…

— Bien sûr que je suis bien, nous avons plus de place, 

l’espace  est  mieux  organisé,  nous  l’avons  retaillé  selon 
nos besoins, il nous ressemble, ce n’est pas ce que je veux 
dire. Je te parle de nous deux dedans. De l’effet que ce 
lieu produit sur nous.

— Tu nous trouves si changés ? Je veux dire : qu’est-ce 

qui a changé ?

— Je te l’ai dit, nous parlons moins, nous sommes plus 

loin l’un de l’autre, je ne sais pas.

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