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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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ou sur lui. Il se rendit compte qu’il avait misé sur la 
fièvre de Lydie pour faire oublier son comportement. Il 
ne se sentait pas fier et avait même franchement peur de 
ce qui allait se dire.

Assis dans l’autre canapé, Jack essayait de détendre ses 

membres en occupant le plus d’espace possible, il respira 
profondément en basculant la tête en arrière. Lydie s’était 
assise en tailleur et tenait ses chevilles d’une main. De 
l’autre, elle massait doucement son visage. Elle attrapa 
tous ses cheveux, les rassembla et les attacha avec une 
grosse  pince  qui  traînait  sur  la  table  basse  devant  eux. 
Elle parla la première :

— Depuis que nous avons terminé l’emménagement, 

il y a comme une sorte de… de malaise entre nous, 
certains jours. Comme si nous ne pouvions plus parler 
comme avant, dans l’ancienne maison. Je dis comme 
avant, mais je trouve aussi que nous avons énormément 
parlé et échangé dans ce bungalow, beaucoup plus qu’ici 
ces dernières semaines.

— Nous étions en vacances, plusieurs jours entiers 

ensemble, ma chérie, il était bien normal que nous discu-
tions plus que pendant la semaine chez nous, ou pendant 
un simple week-end, avec tous les aménagements que 
nous avions à terminer dans ce loft immense.

— Oui, mais nous parlons moins ici qu’avant, je le 

sens, il n’y a plus la même intimité.

Jack avait le pressentiment que Lydie n’avait pas l’in-

tention d’évoquer le même sujet que lui, qu’elle voulait lui 

nom à des sentiments et, par là même, leur conférer une 
réalité, un impact qu’ils n’avaient pas avant. « Ce qui est 
tu existe moins que ce qui est dit », estimait Jack. Il crai-
gnait néanmoins que plus rien ne soit pareil après ce soir-
là. Une petite voix peureuse se permit même de dire que 
tout cela était bien dangereux, qu’il pouvait bien perdre 
Lydie en mettant tout ce qui le hantait sur la table. Il y 
avait bien longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi peu 
confiant au sujet de sa propre existence.

L’achat du loft avait été une opération compliquée et 

longue, et durant toute cette période, il avait fait face 
sans  broncher  aux  banquiers,  aux  entrepreneurs  et  aux 
circonstances. Il s’était senti ferme et décidé, tout en 
restant souple et réactif. Jamais il n’y avait eu entre eux 
deux la moindre crise sérieuse, les rôles s’étaient parfai-
tement répartis : à lui, tout le financier et l’administratif, 
à elle, la conduite des travaux et les choix esthétiques. Ils 
avaient été parfaits, sachant s’épauler dans les moments 
difficiles et ne jamais reprocher à l’autre une faute ou un 
oubli. Ils étaient un couple uni et avaient réussi à affronter 
cette expérience sans en subir les possibles conséquences 
affectives.

Ce soir-là, Jack se sentait bien loin de cette superbe 

entente, de cette confiance totale qui avait été le ciment 
de leur histoire. Il ne savait pas du tout ce que Lydie 
avait vécu ces derniers jours, ce qu’elle avait ressenti. Il 
s’était menti à lui-même sur l’importance des incidents 
récents, sur les effets qu’ils avaient pu produire sur elle 

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