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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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ne l’attendait que plus tard, il était tout à fait normal qu’elle 
s’absente dans l’après-midi sans laisser de message. Il se 
prépara un thé et s’installa dans le salon. Il profita de sa 
solitude pour écouter des morceaux de musique classique 
qui ne plaisaient pas trop à Lydie, pour qui la musique 
commençait  à  partir  du  blues.  À  nouveau,  il  s’endor-
mit quelques instants et se réveilla un peu paniqué. Ces 
endormissements impromptus ne lui ressemblaient pas et 
ne correspondaient pas du tout à son caractère. Il avait 
l’impression de ne plus se maîtriser.

Lydie rentra et fut surprise de le trouver là. Il lui dit 

qu’il ne se sentait pas bien et qu’il était à la maison depuis 
peu. Il ajouta qu’il couvait peut-être ce qui l’avait frappée 
un peu plus tôt. Elle passa du coq à l’âne en lui racontant 
divers événements, des propositions de travail, quelques 
petites choses aperçues au cours de ses trajets du jour… 
Lydie se montrait parfois assez bavarde et se lançait 
dans des descriptions confuses, avec mille digressions et 
détails incongrus. C’était comme si elle avait besoin de se 
vider de sa journée. Cette capacité à raconter inlassable-
ment des histoires parfois sans importance fascinait Jack. 
Il aimait Lydie et lui pardonnait ses excès de parole quasi 
incontrôlés,  ces  moments  interminables  où  il  fallait  la 
laisser parler et, surtout, suivre les méandres de sa pensée. 
Elle mélangeait un peu tout, et si Jack faisait semblant 
d’écouter,  il  pouvait  rater  des  éléments  primordiaux,  à 
l’image de ces stratégies militaires où un message essen-
tiel était dissimulé dans de longues suites d’informations 

s’asperger le visage. Il prit le rasoir électrique que Lydie 
lui avait offert quelques années auparavant et se rasa avec 
application. Il se passa à nouveau le visage sous l’eau et 
contempla le résultat : il avait une tête presque normale.

Il  vécut  le  reste  de  la  journée  à  fuir  le  contact  des 

autres. Il resta enfermé dans son bureau et se consacra à 
des tâches ingrates qu’il avait remises jusqu’ici : lecture 
de  rapports  divers,  analyses  financières,  etc.,  toutes  les 
corvées  auxquelles  il  n’entendait  pas  grand-chose,  et 
encore moins dans l’état second où il se trouvait. Il quitta 
la  bibliothèque  une  heure  avant  sa  fermeture  et  fit  en 
passant un signe à Mrs Turnpike, qui lui sourit nerveuse-
ment. Il avait légèrement mal au ventre et mit cela sur le 
compte du stress du matin.

Il marcha jusque chez lui pour s’aérer un peu, son 

bureau  ayant  fini  par  lui  sembler  exigu.  Jack  ne  l’avait 
jamais trouvé petit, mais le fait de s’y retrancher avait 
changé la donne. Il s’était senti assailli par ses propres 
sautes d’humeur, il avait même poussé jusqu’à s’énerver 
contre lui-même un moment. Tout cela le laissait perplexe. 
En avançant vers le loft, Jack se demandait comment 
amener le sujet avec Lydie. Comment lui décrire tout ce 
qu’il vivait depuis plusieurs jours, comment raconter tous 
ces éléments épars sans passer pour une sorte de para-
noïaque aux yeux de celle qu’il aimait ?

Lorsqu’il arriva, Lydie n’était pas là, son atelier était 

vide et ses œuvres étaient recouvertes. Jack chercha un 
éventuel mot et écouta le répondeur, mais comme Lydie 

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