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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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qui  n’avait  jamais  été  la  sienne.  De  ses  deux  mains,  il 
tâta ses joues pour les détendre et mit de l’ordre dans ses 
cheveux.  Puis  il  les  plaça  sur  ses  tempes  et  les  pressa 
fort pour se masser. Quand il se regarda une dernière fois 
avant de se diriger vers son bureau, il avait retrouvé une 
figure  humaine,  il  était  à  nouveau  Jack.  Il  se  sourit,  et 
d’un coup, tout son comportement du matin lui revint en 
tête. Il décida d’aller voir Mrs Turnpike.

Alors qu’il marchait vers le comptoir où elle se trou-

vait en cet instant, Jack tenta de retrouver qui, autour de 
lui, se tenait de cette façon, le menton plongé en avant, 
regardant les gens par en dessous. La réponse lui vint 
dans  un  flash  au  moment  même  où  Mrs  Turnpike  se 
tournait vers lui. Il lut sur son visage que son propre 
air avait changé. Il lui glissa quelques mots d’explica-
tion vague sur son comportement du matin et se cacha 
derrière la maladie de Lydie, disant qu’il n’avait pas pu 
dormir correctement. La réponse de Mrs Turnpike lui 
parvint comme s’il se trouvait de l’autre côté d’une vitre. 
Il  n’était  pas  tout  à  fait  là  :  Jack  était  perdu  dans  ses 
pensées. Ou plutôt dans une seule pensée, car il se répé-
tait depuis quelques secondes : « Je me tenais comme 
Mike. Je me tenais comme Mike… »

Il s’enferma dans son bureau, et pour la première fois 

de sa carrière de fonctionnaire, fit une brève sieste. Il avait 
un peu trop mangé. Il se réveilla complètement paniqué 
et se précipita dans le cabinet de toilette attenant pour 

se remarque pas. Deux écoliers passèrent en courant et il 
essaya de leur sourire, mais il dut leur faire une grimace, 
car  ils  le  regardèrent  bizarrement.  Jack  n’arrivait  pas  à 
sortir de cela, à redevenir le personnage calme et avenant 
qu’il avait toujours été. Avant… avant quoi, au fait ?

Jack retourna à la bibliothèque puis se dévisagea dans 

la grande glace qui se trouvait à l’entrée, placée là pour 
permettre au public de vérifier sa tenue avant de sortir. Il 
fut étonné de découvrir son propre visage dans le miroir. 
Il s’attendait presque à en voir un autre.

De fait, Jack avait omis de se raser ce matin-là, il n’avait 

sans doute pas bien dormi, vu les cernes énormes qui 
entouraient ses yeux, et ses cheveux étaient quelque peu 
ébouriffés. Il aurait été crédible dans le rôle du type qui 
avait passé une nuit blanche hors de chez lui. C’était sans 
doute la première fois de sa vie qu’il oubliait de se raser 
et qu’il se présentait dans cet état à son travail. Il était le 
directeur, mais tout de même… En réalité, en s’examinant, 
Jack sentit que ce n’était pas son aspect qui posait le plus 
problème, mais son regard, qui était plus qu’étrange. Jack 
se fixa durant plusieurs dizaines de secondes et finit par 
saisir ce qui n’allait pas, ce qui n’était pas normal, parce 
que complètement différent de lui-même. Debout devant 
la glace, il releva son menton en douceur. Ses propres 
yeux lui apparurent doucement dans leur éclat naturel. Il 
se reconnut enfin. Il lui apparut qu’il se tenait le menton 
rentré dans la poitrine depuis le matin, dans une attitude 

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