Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
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travaux. Elle devait se repassait toute l’opération comp-
table et le reste pour trouver ce qui n’allait pas.
Jack, pour autant qu’il fût lui-même, souffrait intérieu-
rement, atrocement. Il aurait voulu hurler à Mrs Turnpike
qu’il regrettait ses paroles déplacées. Il en était incapable.
Une chape de plomb écrasait sa volonté. Il restait assis,
les épaules en arrière, un vague air satisfait plaqué sur ses
traits. Dans un effort surhumain, il réussit à se prendre
le visage dans les mains pour tenter d’effacer ce sourire
qui ne correspondait en rien à son état d’esprit. Lorsqu’il
releva la tête, il lut sur le visage des deux personnes
assises en face de lui que son nouvel air ne collait pas
plus que l’autre à la situation.
La porte s’ouvrit et le conseiller s’annonça en s’excu-
sant pour son retard. Rarement, Jack avait ressenti un
tel soulagement à l’arrivée d’un édile de la mairie. La
réunion se déroula tout à fait normalement. L’agent et
Mrs Turnpike se comportèrent comme si rien ne s’était
passé. Tout le monde quitta le bureau, les décisions avaient
été prises et discutées, tout avait été noté, tout allait bien.
Jack attrapa son pardessus et son écharpe, et se dirigea
vers le restaurant où il avait ses habitudes. En chemin, il
se dit qu’il irait voir la pauvre femme dans l’après-midi.
« Oui, pensa-t-il, j’irai lui présenter de vagues excuses, je
mettrai ça sur le compte du stress. »
Le klaxon du camion retentit presque trop tard. Jack
s’immobilisa au milieu du passage pour piétons et réalisa
qu’il s’était engagé sans regarder à droite. Pour autant, il
Jack se surprit lui-même. L’agent le regarda comme s’il
l’avait insultée. Il avait visiblement dépassé les limites de
la politesse compassée de ce genre de réunion. L’agent
le connaissait à peine, ils se voyaient pour la troisième
fois, mais il pouvait sentir dans son regard un étonnement
désapprobateur. Mrs Turnpike était au bord des larmes
et serrait convulsivement le sous-main sur lequel elle
s’apprêtait à prendre la réunion en note.
Jack n’avait jamais traité cette femme ainsi. Elle assu-
rait à elle seule la totalité des tâches administratives et
permettait à Jack de poursuivre ses recherches. Elle en
avait l’habitude, car elle travaillait ici depuis trente ans
durant lesquels la ville avait placé à la tête de la biblio-
thèque des universitaires brillants qui passaient plus de
temps sur leurs travaux que sur la gestion de la rénovation
des lieux. Tout s’était toujours merveilleusement déroulé
depuis l’entrée en fonction de Jack quelques années
auparavant. Il mettait un point d’honneur à se montrer
bienveillant avec elle et elle n’avait jamais remis en cause
cette division du travail.
De grosses larmes coulaient sur les joues de
Mrs Turnpike, qui se tenait droite et regardait Jack de
biais, avec un air fier mal assuré. Ses pieds s’agitaient
bizarrement, trahissant un état de nerfs invraisemblable.
Du fond de sa conscience, Jack comprit que la pauvre
femme était incapable de réagir autrement qu’en s’en
prenant à elle-même. Il était certain qu’elle était en train
de réfléchir à ce qu’elle avait pu rater dans la gestion des