Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
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entrée en fonction à la bibliothèque, il s’était adressé à
elle comme on s’adresse à une subordonnée. Son ton avait
été cassant, presque méprisant. Elle ne le reconnaissait
pas, elle resta sans voix et bredouilla quelques mots au
sujet du courrier. Jack se rendit compte de l’effet de sa
réponse et tenta de sourire. Il ne réussit à produire qu’un
rictus qui acheva Mrs Turnpike.
Il resta toute la journée sur cet incident, incapable de
changer de ton vis-à-vis de sa collaboratrice. Peu avant
le déjeuner, il la reçut dans son bureau pour une réunion
avec l’expert des assurances afin de finaliser l’accord
sur les remboursements des travaux dus à la tempête de
glace. Le conseiller municipal était en retard, Jack était
assis dans son fauteuil en face d’eux. Mrs Turnpike, extrê-
mement nerveuse, introduit la réunion en rappelant l’état
d’avancement des travaux et les dépenses engagées. Elle
cherchait l’assentiment de Jack, qui demeurait complète-
ment silencieux. L’agent d’assurances se taisait lui aussi
en regardant le sol, ponctuant certaines des phrases de
Mrs Turnpike par un « hum » à peine audible. Celle-ci se
décomposait petit à petit sous les yeux de Jack, renversé
sur son fauteuil dans une attitude presque inconvenante,
un vague sourire de contentement sur les lèvres. Loin
derrière lui, comme caché au fond du crâne et privé du
contrôle de ses gestes, Jack avait mal pour son employée,
et la pauvre continuait à meubler en répétant des informa-
tions que tous connaissaient.
— Merci, Mrs Turnpike !
Depuis cinq ans qu’ils vivaient ensemble, il n’avait
jamais assisté à une scène pareille. Jamais il n’avait vu
Lydie prononcer aussi distinctement des paroles dans
son sommeil. Il avait beau essayer de maintenir des sépa-
rations claires entre les faits, il ne pouvait s’empêcher
de rassembler tous les éléments anormaux de la période
récente. Les visites à Mike et leurs effets incroyables,
ses cauchemars, l’attitude de Morgan et maintenant,
Lydie qui se mettait à appeler à l’aide en dormant. Tout
cela commençait à faire beaucoup. Avant de finalement
s’endormir à son tour, il prit la ferme décision de parler
à sa femme des événements récents. Il avait, jusque-là,
voulu la tenir à l’écart de toute cette histoire, mais sa
solitude face à l’inconnu commençait à lui peser. Jack
ne trouvait plus d’appui en lui-même, il éprouvait le
besoin d’affronter sa confusion avec la personne qui lui
était plus proche.
Au matin, Jack se réveilla avec la lumière du jour. Il
lui fallait se dépêcher pour rejoindre son bureau à l’heure.
Il prit tout de même son temps, mangea et se lava sans
empressement particulier. Il ressentait l’effet du retard,
une petite angoisse qui montait en lui, mais rien dans
ses gestes ne changea, le rythme de ses mouvements ne
s’accéléra pas. Il prenait son temps. Il arriva à la biblio-
thèque avec une bonne demi-heure de retard par rapport
à ses habitudes. Mrs Turnpike le lui fit remarquer en lui
demandant des nouvelles de sa femme. Il répondit sèche-
ment qu’elle allait bien. Pour la première fois depuis son