Jean-DiDier
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Jack descendit du bus et le vent frais le ramena à la
réalité, au trottoir glissant et au risque de chute en
cas de marche prolongée et d’inattention. Il avança jusqu’à
sa rue en se tenant de temps à autre aux grilles et aux
murets des maisons. Certaines n’avaient aucune délimi-
tation avec le trottoir, et ces passages étaient quelque peu
difficiles. Le sol était recouvert d’un mélange compact de
boue et de neige qui était congelé par endroits, là où le
soleil trop timide n’avait pu pointer ses rayons.
Les quelques centaines de mètres entre l’arrêt de bus et
l’immeuble lui prirent un temps assez long durant lequel
il ne put repenser à ce qui l’obsédait quand il était encore
dans le bus. Ce fut comme un sas de décompression. Il
arriva chez lui provisoirement débarrassé de ses soucis et,
sans se casser la figure, parvint dans le hall. Il actionna
alors la commande de l’énorme monte-charge qui servait
d’ascenseur. Il manœuvra les deux portes à claire-voie,
constata une nouvelle fois que le dispositif était lent,
bruyant de façon inquiétante, et sans doute dangereux,
dans la société. Peut-être que la douleur liée à son acci-
dent lui avait justement fait détester tout cela, cette forme
de normalité, ce modèle de société dont Jack était le plus
parfait représentant. Ne parle-t-on pas du syndrome des
vétérans, qui se mettent à haïr le pays qu’ils ont défendu ?
Jack se demanda alors pourquoi il aurait droit à un pareil
traitement. Tout cela lui sembla absurde.
Jack tournait et retournait chaque visite, chaque scène
dans sa tête et finit par manquer de rater son bus. Il fallut
un grand coup de klaxon du chauffeur pour le tirer de ses
pensées. Jack s’assit au fond du bus, le plus loin possible
de la porte et de son courant d’air glacial. Il tenta de
comprendre ce que Mike pouvait gagner dans cette situa-
tion. Ses motivations étaient encore moins claires que
celles de Morgan. Il sentait confusément que tout ceci
n’était que le début de quelque chose qui était derrière
tout cela. Mais quoi ?