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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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s’empêcher de traquer les symptômes de la peur sur son 
propre visage. Et bien sûr, il finit par les trouver.

La tempête de glace avait laissé des traces dans la 

ville. Plusieurs carrefours étaient bloqués par des travaux 
lourds de remise en place des systèmes de signalisation. 
De nombreuses lignes électriques étaient tombées, et leur 
remplacement prenait du temps. Certains endroits étaient 
alimentés par de gros groupes électrogènes montés sur 
des camions. La ville demeurait encore sous la neige, mais 
la circulation était possible, les bus roulaient. À petite 
allure, certes, mais ils roulaient.

Jack attendit le sien assez longtemps en compagnie 

de  deux  vieilles  dames  bavardes  qui  commentaient  les 
événements de la semaine sans rien y ajouter, elles se 
racontaient ce que tout le monde savait en prenant l’air de 
celles qui révélaient quelque chose de secret. Le bus arriva 
et Jack s’installa loin d’elles. Il les trouvait fatigantes, à 
la longue. Le trajet se révéla long et lent. L’itinéraire était 
détourné et le chauffeur, pas très à l’aise avec son engin 
sur terrain glissant, restait à une allure qui aurait presque 
permis de descendre en marche. Quand il arriva enfin en 
vue de l’hôpital, Jack était nettement en retard par rapport 
à son horaire habituel.

Cette  fois,  l’hôpital  commença  à  lui  apparaître  dans 

son ensemble. Il reconnaissait les points de passage. Il 
lui semblait même qu’il pouvait changer de route pour 
revenir au bâtiment principal. Mais cette familiarité avec 
le lieu ne lui enlevait pas son appréhension. Jack n’avait 

aurait fait du mal en refusant l’échéancier. Au moment où 
elle allait passer la porte du bureau, il ne put s’empêcher 
de lui demander :

— L’avez-vous lu ?
— Bien sûr !
Elle avait répondu comme si l’on essayait de la prendre 

en faute. Jack la regarda partir en se disant qu’elle était 
décidément un peu bizarre. Il rédigea une note pour le 
personnel  en  indiquant  que  la  somme  devait  aller  aux 
dons pour la bibliothèque, qu’il était inutile d’en tenir un 
compte réel, mais qu’il fallait en revanche prendre l’af-
faire très au sérieux devant Mrs Drake.

Les jours suivants se déroulèrent tranquillement. De 

nouveau, Jack sut trouver dans la normalité banale de son 
travail et de sa vie avec Lydie la force de contenir tout ce 
qui se rapportait à Mike et aux visions. Pas de cauche-
mars, pas de visions, aucune nervosité. Jack contrôlait la 
situation. Le matin de la troisième visite, en se rasant, 
Jack se coupa. La vue du sang sur la mousse blanche et 
du cheminement de la goutte vers son cou brisa ce bel 
équilibre. Il n’y eut pas de visions, pas d’angoisse brutale. 
Tout simplement, Jack ne se coupait presque jamais, et il 
ne put s’empêcher d’y voir là un signe, et ce simple fait 
lui en disait long sur sa faiblesse. « Signe ou pas signe, 
pour penser qu’il s’agit de cela, il faut être dans un drôle 
d’état », pensa-t-il. Jack se regarda longuement dans les 
glaces de l’armoire de toilette. Il s’épiait. Il ne pouvait 

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