Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
81
80
une force extérieure et pourtant intime. Il était là, assis
sur le bord du lit, comme suspendu à ses propres paroles,
et en même temps, il pouvait se voir et se sentir bouillir
d’une rage aveugle. Il ferma les yeux, et en les ouvrant
de nouveau, il ne découvrit pas Lydie prostrée dans le lit,
mais une autre femme, avec un air différent, bravache et
moqueur. Les draps n’étaient pas les mêmes, la lumière
non plus. En l’espace d’un flash, de nombreuses images
défilèrent devant ses yeux : des journaux, ainsi qu’une
seringue, un bout d’aluminium et une petite cuillère.
Puis, tout à coup, d’autres images très différentes : un
logo ou un écusson représentant deux sabres croisés.
Jack ferma les yeux de nouveau.
Quand il les rouvrit enfin, Lydie s’était repliée comme
une enfant et pleurait en silence. Jack se leva doucement
et quitta la chambre. Il revint avec un médicament puis-
sant contre les maux de tête et un verre d’eau. Lydie prit
le remède et tourna le dos à Jack. Il ramassa le plateau et
quitta silencieusement la chambre. Il réchauffa son petit-
déjeuner et en mangea une partie sans appétit. Dehors, le
vent s’était levé. Les flocons n’étaient pas nombreux, mais
se déplaçaient à l’horizontale. On ne pouvait distinguer
les immeubles alentour.
Jack passa la journée à ranger nerveusement les
derniers cartons de livres de son bureau. Il regarda une
vidéo, puis monta lire un roman policier allongé près de
Lydie, qui se réveillait de temps en temps pour quelques
dizaines de minutes et racontait ses rêves de façon décou-
gea vers la chambre. Il trouva Lydie toujours endormie et
essaya de la réveiller pour lui proposer un petit-déjeuner.
Elle finit par ouvrir un œil et dit qu’elle avait faim. Il
descendit préparer un repas complet, avec des œufs et du
bacon, des oranges pressées et des toasts rôtis qu’il posa
dans le petit présentoir anglais qu’ils avaient rapporté de
Londres.
Une fois encore, il monta les marches trop étroites avec
un plateau dans les mains, tout doucement, dans la crainte
de tout renverser. Il le posa délicatement sur le côté du lit
et caressa l’épaule de Lydie en remontant vers sa joue. Elle
rouvrit les yeux et le regarda avec un air étonné.
— Le petit-déjeuner est là, ma chérie.
— Euh… en fait… euh… j’ai pas faim…
Jack serra les dents, inspira profondément, abattit
violemment la main sur le lit et lâcha :
— Putain ! J’en ai marre de faire la cuisine pour rien !
En cinq ans de vie commune, jamais Jack n’avait élevé
la voix de cette façon. Lydie le regarda comme un étran-
ger. Jack fut alors saisi d’effroi en lisant la peur dans
ses yeux. Il leur était bien arrivé de hausser le ton, mais
jamais ainsi, hors de propos. Jamais Jack n’avait réagi de
manière aussi brutale. Lydie était malade comme rare-
ment elle l’avait été. Il était tout à fait légitime pour elle
de ne pas pouvoir manger, de refuser un petit-déjeuner
après en avoir accepté l’idée machinalement.
Jack se sentait comme dédoublé, il avait du mal à
considérer cette colère si brutale. Il la ressentait telle