background image

Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

45

44

être jugés sans prendre en compte la vie de ceux qui les 
commettaient. À la lecture du dossier, il s’était dit qu’il 
s’agissait  d’un  bel  exemple  d’existence  chamboulée  par 
la prison, que Mike aurait pu avoir une autre vie s’il 
n’avait pas été envoyé en cellule pour un crime qu’il refu-
sait d’endosser, alors même qu’en plaidant coupable, il 
en serait sorti beaucoup plus tôt. Mike était, en quelque 
sorte, une victime lui aussi. Mais ce constat demeurait 
pour Jack une question de principe, et il n’y avait là pas 
grand-chose de personnel.

Jack détenait sa propre conception de la justice et de 

l’injustice, mais de là à ressentir la colère brutale de celui 
qui était en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis, 
il y avait un monde. Or les sentiments qu’il avait éprouvés 
dans cette chambre avaient été bien réels, dans le sens 
où  ils  avaient  changé,  l’espace  de  quelques  instants,  sa 
perception du monde, de sa propre vie. Ses principes 
avaient été comme momentanément troqués, comme s’il 
avait pris la place de quelqu’un d’autre. Celle de Mike ? 
Jack tenta de chasser cette idée trop simpliste de sa tête 
alors qu’il franchissait une des portes gardées de l’hôpi-
tal. L’employé chargé de la barrière lui fit signe et comme 
Jack ne comprenait pas le sens de son geste, il s’approcha 
de la guérite.

— Enlevez votre badge quand vous êtes à l’extérieur, 

des fois qu’on vous le pique !

Jack remercia le type et rangea le carré de plastique 

dans sa mallette. Il passa par la porte pour les piétons et 

tés ce soir-là, celui que tout accusait parce qu’on l’avait 
déjà  vu  frapper  un  homme  à  terre.  Mike  avait  plaidé 
non coupable et plongé pour plusieurs années, et d’une 
certaine  façon,  même,  pour  toujours,  alors  qu’il  affir-
mait  son  innocence.  Voir  sa  vie  fichue  en  l’air  à  cause 
d’une erreur judiciaire, de l’acharnement d’un procureur 
qui tenait le coupable idéal : voilà un sentiment d’injus-
tice, de tort absolu, que Jack avait découvert en entrant 
dans cette chambre, un sentiment qui lui avait jusque-
là toujours semblé totalement inconnu. « Mais comment 
ai-je pu ressentir tout cela alors même que je n’ai rien 
entendu de ce type ? » s’interrogea Jack. Mike n’avait en 
effet pas prononcé un seul mot, à l’exception de sa phrase 
de remerciement à la toute fin de leur entrevue.

Jack ne comprenait pas. Il admettait que son imagination 

avait pu travailler à plein régime sur les éléments fournis 
par le dossier, mais la précision des sensations, et puis ces 
sentiments qu’il ressentait comme s’ils étaient les siens ou 
ceux de quelqu’un de proche, tout cela lui était totalement 
nouveau. Pouvait-on inventer des sentiments ? Éprouver 
ceux des autres ? Comme ça, simplement en entrant dans 
une chambre ? Jack avait toujours été plutôt rationnel, et 
voulait se rassurer en trouvant une ou plusieurs explica-
tions  à  sa  crise  de  panique  et  à  ses  visions.  Mais  ça  ne 
marchait pas, il restait abasourdi par cette espèce d’empa-
thie envahissante qu’il avait ressentie en présence de Mike.

Jack n’avait pas de préjugés sur Mike. Il faisait partie 

de ces gens qui pensaient que les actes ne devaient pas 

23 / 129