Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
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être jugés sans prendre en compte la vie de ceux qui les
commettaient. À la lecture du dossier, il s’était dit qu’il
s’agissait d’un bel exemple d’existence chamboulée par
la prison, que Mike aurait pu avoir une autre vie s’il
n’avait pas été envoyé en cellule pour un crime qu’il refu-
sait d’endosser, alors même qu’en plaidant coupable, il
en serait sorti beaucoup plus tôt. Mike était, en quelque
sorte, une victime lui aussi. Mais ce constat demeurait
pour Jack une question de principe, et il n’y avait là pas
grand-chose de personnel.
Jack détenait sa propre conception de la justice et de
l’injustice, mais de là à ressentir la colère brutale de celui
qui était en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis,
il y avait un monde. Or les sentiments qu’il avait éprouvés
dans cette chambre avaient été bien réels, dans le sens
où ils avaient changé, l’espace de quelques instants, sa
perception du monde, de sa propre vie. Ses principes
avaient été comme momentanément troqués, comme s’il
avait pris la place de quelqu’un d’autre. Celle de Mike ?
Jack tenta de chasser cette idée trop simpliste de sa tête
alors qu’il franchissait une des portes gardées de l’hôpi-
tal. L’employé chargé de la barrière lui fit signe et comme
Jack ne comprenait pas le sens de son geste, il s’approcha
de la guérite.
— Enlevez votre badge quand vous êtes à l’extérieur,
des fois qu’on vous le pique !
Jack remercia le type et rangea le carré de plastique
dans sa mallette. Il passa par la porte pour les piétons et
tés ce soir-là, celui que tout accusait parce qu’on l’avait
déjà vu frapper un homme à terre. Mike avait plaidé
non coupable et plongé pour plusieurs années, et d’une
certaine façon, même, pour toujours, alors qu’il affir-
mait son innocence. Voir sa vie fichue en l’air à cause
d’une erreur judiciaire, de l’acharnement d’un procureur
qui tenait le coupable idéal : voilà un sentiment d’injus-
tice, de tort absolu, que Jack avait découvert en entrant
dans cette chambre, un sentiment qui lui avait jusque-
là toujours semblé totalement inconnu. « Mais comment
ai-je pu ressentir tout cela alors même que je n’ai rien
entendu de ce type ? » s’interrogea Jack. Mike n’avait en
effet pas prononcé un seul mot, à l’exception de sa phrase
de remerciement à la toute fin de leur entrevue.
Jack ne comprenait pas. Il admettait que son imagination
avait pu travailler à plein régime sur les éléments fournis
par le dossier, mais la précision des sensations, et puis ces
sentiments qu’il ressentait comme s’ils étaient les siens ou
ceux de quelqu’un de proche, tout cela lui était totalement
nouveau. Pouvait-on inventer des sentiments ? Éprouver
ceux des autres ? Comme ça, simplement en entrant dans
une chambre ? Jack avait toujours été plutôt rationnel, et
voulait se rassurer en trouvant une ou plusieurs explica-
tions à sa crise de panique et à ses visions. Mais ça ne
marchait pas, il restait abasourdi par cette espèce d’empa-
thie envahissante qu’il avait ressentie en présence de Mike.
Jack n’avait pas de préjugés sur Mike. Il faisait partie
de ces gens qui pensaient que les actes ne devaient pas