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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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être encore sa télévision, Mike n’avait décidément pas 
envie de marquer la moindre courtoisie. Il ne répondit 
pas au « bonjour » de ses visiteurs.

Jack et Morgan s’assirent sur deux fauteuils, le genre 

de meuble typique sur lequel on dormait aux côtés d’un 
malade que l’on était venu veiller, et leurs têtes se trou-
vaient plus bas par rapport au regard de Mike. L’abat-jour 
de la lampe ne cachait plus l’ampoule, ils étaient éblouis 
par la lueur. Morgan tendit le bras et changea l’inclinai-
son des lames du store pour rétablir la luminosité dans la 
pièce. Mike apparut enfin aux yeux de Jack.

Il  était  encore  un  peu  plus  vieux,  mais  son  air  était 

différent.  Ce  n’était  plus  l’épave  de  la  photo  anthropo-
métrique. Mike arborait aujourd’hui une mine bravache. 
Il regardait Jack fixement, de travers, la tête appuyée sur 
son oreiller. Il avait aussi l’air plus soigné, ses cheveux 
longs n’avaient plus l’apparence de gras mouillé, sa barbe 
était taillée et ses ongles pas coupés étaient propres. 
L’hôpital prenait soin de lui et lui avait rendu la force 
d’être plus provocateur, de mettre en scène son apparition 
en déplaçant sa lampe de chevet, en somme de passer à 
nouveau pour un fier-à-bras.

Jack fut à la fois subjugué et terrifié par ce regard. Les 

photos et la petite histoire qu’elles racontaient lui avaient 
laissé croire qu’il éprouverait de la pitié pour l’être qu’il 
découvrirait, qu’il se sentirait non pas à l’aise, mais au 
moins protégé face à Mike. Or il ne s’estimait pas le moins 
du monde supérieur en cet instant, au contraire, il avait 

immense, dirigés du haut d’un hélicoptère, des chiens en 
meute. Une salle coupée en deux par un mur de plexiglas, 
et derrière, le visage presque inconnu tellement il semblait 
vieilli d’une femme qui pleurait. Un jeune homme arro-
gant, sûr de lui, qui s’adressait à douze personnes complè-
tement ahuries. Des fourgons, des ambulances. Et tout 
cela, les yeux grands ouverts.

Jack parvint à se raccrocher à la réalité et à chasser les 

images qui l’assaillaient. Il inspira profondément et reprit 
contact avec l’espace et le moment. Hébété, il tenta de 
se rassurer en mettant ces visions sur le compte de son 
imagination impressionnée par les pièces du dossier. Il 
se dit que tout cela devait beaucoup le travailler. Il refit 
surface et sourit stupidement à Morgan, qui l’observait, 
l’air plutôt inquiet. Celui-ci fit un signe de présentation 
de la main droite en direction du lit où se trouvait Mike.

Ce dernier avait orienté sa lampe de chevet de manière 

à maintenir son visage dans l’ombre, on devinait à peine 
ses traits. Jack vit d’abord les énormes tatouages sur ses 
avant-bras,  trop  complexes  et  baveux  pour  qu’il  puisse 
examiner ce qu’ils représentaient. Mike reposait sur son 
lit, dont la tête relevée faisait comme un immense fauteuil. 
Une main sur l’accoudoir tenait la télécommande de la 
télévision, qui pendait du mur sur un bras articulé.

La  seule  réaction  de  Mike  à  l’arrivée  de  Morgan  et 

Jack fut un imperceptible mouvement de son pouce, qui 
abaissa le son à un niveau presque inaudible, sans toute-
fois le couper complètement. Invisible, regardant peut-

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