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Conte corbeau 

 
Ses ailes noires glissent sous le vent comme le ferait la voile d'un navire pirate. L'air s'engouffre dans son 
plumage et le porte sur des dizaines de kilomètres. Il peut voler ainsi des heures sans avoir à effectuer le 
moindre mouvement. Son champ de vison à plus de 60 degrés lui permet d'avoir un aperçu global de la Terre 
en dessous, et ainsi de repérer ses proies avec précision. 
Et aujourd'hui elles affluent par centaines, par milliers. Entassées sur le sol boueux, entremêlé, pêle-mêle, les 
unes sur les autres. Les reflets du soleil sur les flaques de sang et les armures déchirées excitent la vue de 
l'oiseau. Certaines sont mortes, d'autres bougent encore, se débattent, grognent, hurlent. Celles qui sont 
debout ne le resteront pas longtemps. Elles se déchirent à coups de lames étincelantes, tranchent les bras, 
fracassent les os, écrasent les crânes, le tout dans un vacarme étourdissant. 

Le corbeau, toujours sans efforts, effectue des cercles au-dessus de cet immense buffet. Il n'attend qu'une 
chose : plonger, et découper de son bec les savoureux lambeaux de chair. 

Cela fait maintenant deux lunes que les affrontements font rage. Le nettoyeur de la mort ne tient plus. La 
faim le tenaille, et l'odeur de putréfaction qui s'élève dans les cieux ne cesse de le tourmenter. 

Mais le temps passe et l'agitation ne s'arrête pas. Ne pouvant plus se retenir, le corbeau s'élance en direction 
du sol, le bec pointé sur sa cible. Il freine sa descente d'un coup d'aile rapide et atterri avec grâce sur la jambe 
ensanglanté d'un cadavre dont le buste est transpercé par une lance. 

Affamé, le volatile s'apprête à percer la peau du mort. 

"_Tu ne peux pas me manger, lui dit le défunt. 

_Hélas je n'ai pas d'autres choix, lui répond le corbeau. Les combats durs depuis deux nuits et la faim me 
tiraille. 

_Pourquoi donc ne t'envole tu pas trouver un autre cadavre ? 

_Car c'est sur toi que mon regard c'est posé en premier. 

_Tu ne peux pas me manger, insiste le mort. 

_Et pourquoi cela ? Tu n'es qu'un cadavre. Ta chair est déjà rongée par la pourriture. Pourquoi cela t'importe-
t-il tant ? 

_J'ai combattu vaillamment et tué bon nombre de nos ennemis. Je suis un homme juste et pieu. Si tu me 
manges, ma famille ne pourra me donner une sépulture descente et mes enfants m'oublieront. 

_Comment puis-je me nourrir dans ce cas ? 

_Choisis le cadavre d'un de ces traîtres. Ces hommes ne sont bons qu'à pourrir en enfer. En plus de te repaître 
de leur corps, tu effectueras une action juste en nettoyant la Terre de leur présence. 

_Bien. Dans ce cas je ne te mangerai pas." 

Et le corbeau prend de la hauteur pour trouver une nouvelle proie. Son regard s'arrête sur un soldat de l'armée 
adverse, la gorge percée d'une flèche. Le corvidé plonge dans sa direction et se pause avec élégance sur la 
hampe de la flèche. 

Le corbeau s'approche de la chair à nu du corps. 

"_Pourquoi veux-tu me manger ? 

_Car je n'ai pas d'autres choix. Les combats durs depuis deux lunes et je n'ai rien avalé depuis. 

_Tu pourrais choisir un autre corps, il y en a des milliers ici. 

_Un homme du Nord m'a dit de ne pas le dévorer. Il est un homme pieu et à combattu vaillamment. En 
revanche vous autre traîtres méritez de pourrir en Enfer. Je m'apprête à faire une action juste. 

_Des traîtres ? Enfin corbeau as-tu seulement toute ta tête ? Ces chiens de Nordistes ont envahi nos terres, 
pillés nos fermes et violé nos femmes. J'ai suivi mon père au combat et ai fait preuve de courage en faisant 
couler le sang de ces bâtards. Si tu me manges personne ne chantera mon sacrifice. 

_Comment puis-je faire pour me nourrir ? 

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