« Je vous en prie, restez ici... Ayez pitié d'un vieil homme qui
vient de perdre sa femme et dont la raison s'égare. Je vous en
supplie… »
Les yeux de Sum-pa Jigme pleuraient. Comment
voulez-vous résister ?... Je revins m'asseoir. Le visage du vieil
homme s'éclaira d'un sourire qui plissa sa peau ridée et
découvrit ses dents jaunies. Levant la main pour me faire
signe d'attendre, le vieux Tibétain alla ouvrir une petite boite
métallique sur les étagères. Il y prit une pincée de thé qu'il
jeta dans l'eau bouillante, avant d’y rajouter encore ce qui me
parut être un yaourt d’une couleur légèrement rosée :
« Du beurre de yak », commenta-t-il.
Il apporta la casserole sur la table et saisit deux
tasses derrière lui. S'interdisant de parler avant que le thé ne
soit prêt, Sum-pa Jigme me regardait avec bienveillance.
Ignorant mon regard interrogateur, il se leva de nouveau
pour prendre du sucre.
Le thé avait infusé, Sum-pa Jigme en versa dans nos
tasses et me désigna le sucre. Je me servis. Avec une lenteur
calculée et une solennité exagérée, le vieil homme prit un
morceau de sucre et le laissa tomber dans sa tasse. Me fixant
droit dans les yeux, il tournait lentement sa cuiller dans le
liquide. Sum-pa Jigme prit alors la parole.
Au commencement était Deremba le Tout-Puissant...
Deremba créa un monde alors parfait, notre monde...
J’enrageai intérieurement : pourquoi n’étais-je pas
parti de ce lieu comme je le désirais ? Le ton du discours de
cet homme montrait qu’il était réellement un illuminé. Je ne
sais pas pourquoi, mais j’étais resté. Aujourd’hui, je remercie
la force qui m’a empêché de l’interrompre à ce moment-là.
Sum-pa Jigme continuait de parler.
Deremba conçut les Hommes à Son image et leur
attribua Ses bienfaits. Les premiers Hommes virent le jour au
7