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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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du cauchemar à coup de sensations bien réelles. Il parvint 
à se façonner une apparence calme pour le repas du soir.

Lydie n’était pas une grande cuisinière, dans le sens 

où elle ne cherchait pas du tout à investir son talent artis-
tique dans la recherche de nouveaux plats ou de nouvelles 
saveurs. Mais sa cuisine était bonne, simple et préparée 
à partir de produits frais, ce qui était plus qu’inhabituel. 
Elle était allée chercher des crustacés de qualité au marché 
du centre-ville, ainsi que des légumes rares qu’elle avait 
cuisinés en sauce. Autour de ce plat fin, un vin français et 
des produits d’un traiteur italien achevaient de donner un 
air de fête au repas. Ils dressèrent la table pour la première 
fois avec leur argenterie et leur vaisselle de mariage dans 
leur nouvel endroit.

Ils  passaient  là  en  effet  leur  premier  hiver,  et  c’était 

leur première « grande occasion » depuis l’emménage-
ment. Ils avaient vécu tout l’automne à camper au milieu 
des cartons, mais ce soir de Noël, ils se sentaient, pour la 
première fois, enfin bien installés. Jack joua au somme-
lier, toute la préparation et le service du repas fut une 
sorte de mise en scène. Ils se firent plaisir et s’amusèrent 
comme des enfants. Des bougies de toutes les tailles 
étaient disséminées un peu partout, et par le jeu de la 
verrière,  elles  semblaient  se  multiplier  à  l’infini.  Lydie 
avait même réussi à trouver du temps pour décorer l’im-
mense yucca du salon en guise de sapin de Noël. On ne 
voyait plus la ville derrière les vitres embuées. Ils étaient 
seuls au monde et se dirent qu’ils étaient heureux.

quelqu’un d’autre. Il toussa plusieurs fois et retrouva son 
timbre normal.

— J’ai cassé un verre, ce n’est rien, chérie.
— Jack, tu as poussé un hurlement terrible, on aurait 

dit un appel à l’aide, comme si tu allais mourir.

— Je me suis endormi et j’ai glissé vers le fond de la 

baignoire, c’est tout, je vais ramasser ce verre.

— Chéri, ce n’est pas la première fois que tu t’en-

dors dans ton bain, je ne t’ai jamais entendu crier ainsi, 
comprends que je sois étonnée…

Jack la prit contre lui et la serra fort. Il avait toujours la 

même attitude pour mettre fin à une conversation inutile 
ou inopportune. Il ne voulait pas lui raconter sa rencontre, 
pas maintenant, pas après ce cauchemar. Ils s’étendirent 
un moment, silencieux. Lydie finit par se lever pour aller 
lancer la cuisson du repas puis disparut dans son espace, 
en fait toute la partie de leur immense loft qui donnait au 
sud. Jack resta étendu sur le lit. Il était obsédé par cette 
dernière vision, sa précision et son implacable réalité. 
« Jamais un cauchemar ne m’a fait une telle impression de 
réalité, songea-t-il. C’est même ce qu’il y a de rassurant 
avec les rêves ou les cauchemars : ils n’ont rien de réel, 
au fond. »

L’eau glacée, le deuxième corps, le pont, tout cela lui 

avait semblé pourtant si réel. Il se redressa et considéra 
son image dans un miroir. Debout, il effectua quelques 
mouvements de décontraction en s’efforçant de ressentir 
tous ses muscles. Il voulait chasser l’impression de réalité 

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