Jean-DiDier
et si c’était DéJà écrit ?
53
52
du cauchemar à coup de sensations bien réelles. Il parvint
à se façonner une apparence calme pour le repas du soir.
Lydie n’était pas une grande cuisinière, dans le sens
où elle ne cherchait pas du tout à investir son talent artis-
tique dans la recherche de nouveaux plats ou de nouvelles
saveurs. Mais sa cuisine était bonne, simple et préparée
à partir de produits frais, ce qui était plus qu’inhabituel.
Elle était allée chercher des crustacés de qualité au marché
du centre-ville, ainsi que des légumes rares qu’elle avait
cuisinés en sauce. Autour de ce plat fin, un vin français et
des produits d’un traiteur italien achevaient de donner un
air de fête au repas. Ils dressèrent la table pour la première
fois avec leur argenterie et leur vaisselle de mariage dans
leur nouvel endroit.
Ils passaient là en effet leur premier hiver, et c’était
leur première « grande occasion » depuis l’emménage-
ment. Ils avaient vécu tout l’automne à camper au milieu
des cartons, mais ce soir de Noël, ils se sentaient, pour la
première fois, enfin bien installés. Jack joua au somme-
lier, toute la préparation et le service du repas fut une
sorte de mise en scène. Ils se firent plaisir et s’amusèrent
comme des enfants. Des bougies de toutes les tailles
étaient disséminées un peu partout, et par le jeu de la
verrière, elles semblaient se multiplier à l’infini. Lydie
avait même réussi à trouver du temps pour décorer l’im-
mense yucca du salon en guise de sapin de Noël. On ne
voyait plus la ville derrière les vitres embuées. Ils étaient
seuls au monde et se dirent qu’ils étaient heureux.
quelqu’un d’autre. Il toussa plusieurs fois et retrouva son
timbre normal.
— J’ai cassé un verre, ce n’est rien, chérie.
— Jack, tu as poussé un hurlement terrible, on aurait
dit un appel à l’aide, comme si tu allais mourir.
— Je me suis endormi et j’ai glissé vers le fond de la
baignoire, c’est tout, je vais ramasser ce verre.
— Chéri, ce n’est pas la première fois que tu t’en-
dors dans ton bain, je ne t’ai jamais entendu crier ainsi,
comprends que je sois étonnée…
Jack la prit contre lui et la serra fort. Il avait toujours la
même attitude pour mettre fin à une conversation inutile
ou inopportune. Il ne voulait pas lui raconter sa rencontre,
pas maintenant, pas après ce cauchemar. Ils s’étendirent
un moment, silencieux. Lydie finit par se lever pour aller
lancer la cuisson du repas puis disparut dans son espace,
en fait toute la partie de leur immense loft qui donnait au
sud. Jack resta étendu sur le lit. Il était obsédé par cette
dernière vision, sa précision et son implacable réalité.
« Jamais un cauchemar ne m’a fait une telle impression de
réalité, songea-t-il. C’est même ce qu’il y a de rassurant
avec les rêves ou les cauchemars : ils n’ont rien de réel,
au fond. »
L’eau glacée, le deuxième corps, le pont, tout cela lui
avait semblé pourtant si réel. Il se redressa et considéra
son image dans un miroir. Debout, il effectua quelques
mouvements de décontraction en s’efforçant de ressentir
tous ses muscles. Il voulait chasser l’impression de réalité