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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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de la ville, et Jack eut soudain peur. Saisi, il se pencha 
pour se dissimuler légèrement derrière une rangée de 
cabines téléphoniques au passage de la voiture de police 
qui  filait  à  contresens  sur  l’avenue.  L’instant  d’avant,  il 
était en train de mesurer à quel point il détestait Morgan 
pour l’avoir si bassement manipulé. Il venait de se dire 
qu’il lui aurait bien cassé les dents pour ça.

De sa vie, Jack ne s’était jamais montré violent. Il 

avait, comme tout un chacun, déjà ressenti de la haine, 
mais jamais celle-ci n’avait pris la forme du désir de 
faire du mal, de faire mal, de frapper. Jamais non plus 
il n’avait réagi ainsi au passage de la police. Appuyé 
contre les cabines téléphoniques, il avait l’air tellement 
hagard qu’une vieille clocharde le remua par la manche 
pour lui demander ce qu’il avait. Il revint à lui, remarqua 
la présence de la vieille et lui donna un quarter pour se 
débarrasser d’elle. Il reprit sa route en mordant ses doigts 
à travers son gant.

Toute l’évidence abstraite de sa peur s’effondra. Tout 

ce qu’il venait de fabriquer comme raisonnement pour 
donner une forme pensable, et donc acceptable et gérable, 
à son angoisse sonnait creux. Il avait vraiment ressenti la 
peur de la police et de la haine pour Morgan. Ces senti-
ments  s’estompaient  déjà,  il  redevenait  lui-même.  Mais 
quelque chose d’autre le hantait. Il n’était plus le même 
depuis quelques dizaines de minutes et il le sentait.

*

ai jamais approché, ce doit être ça, c’est une expérience 
limite », se rassura-t-il.

Jack poursuivit son chemin, et tourna et retourna la scène 

dans tous les sens. D’une façon plutôt abstraite, il parvint à 
se convaincre de l’évidence de la situation. Un homme qui 
n’avait jamais eu affaire à un meurtrier en rencontrait un, 
on lui donnait toutes sortes de données à son sujet, juste-
ment sur le fait que c’était un meurtrier, et puis on l’aban-
donnait, seul avec lui. De ce fait, il était normal qu’il ait eu 
peur, qu’il ait paniqué, même, et qu’il se soit imaginé des 
choses, que son imagination se soit emballée et ait tissé des 
images à partir des informations avérées.

Jack tournait en rond dans ses évidences, dans ses idées 

générales et logiquement agencées. Tout cela faisait sens, 
oui, se répétait-il en remontant le col de son manteau. Il se 
mit à marcher de plus en plus vite, d’un pas de plus en plus 
décidé. Il avait affronté non pas un homme redoutable, mais 
ses propres frayeurs, quelque peu manipulées par Morgan, 
ce type au sourire faux qui se plaisait à observer les autres 
qu’il avait lui-même placés en situation critique.

Jack était rassuré maintenant. Tout cela n’était que 

fantasmes, cela en disait long sur lui, mais ça n’avait 
pas grand-chose à voir avec Mike. N’importe qui, enfin, 
n’importe quel meurtrier, aurait produit sur lui un effet 
semblable. Jack en était persuadé. Il avait été victime de 
Morgan et de lui-même, et de personne d’autre.

Deux  sentiments  jumeaux  brisèrent  ces  certitudes 

toutes récentes. Une sirène retentit à l’un des carrefours 

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