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Créé le 5 août 2017 

 

Par Valérie Bonenfant

 

Le klaxon 

 

Je suis sauvage. Je n’aime pas le monde. J’habite en ville, au 2ème étage d’un immeuble, mais je ne 
connais personne. Les relations, très peu pour moi, je préfère la solitude. Depuis deux mois, j’entends 
un individu qui, chaque fois qu’il passe sous mon balcon, klaxonne.  
Cela se produit deux fois par jour, à l’heure du déjeuner et le soir. Personne n’est sur la route, il fait 
cela juste pour se faire remarquer. Quelle stupidité, comme si on allait faire attention à cela ! J’ai vu 
qu’il était en scooter, un engin noir, au bruit de moteur rocailleux, étrange…  
Je souhaite être tranquille. Pas l’envie d’être dérangée deux fois par jour par un coup de klaxon sonore. 
Peut-être s’adresse-t-il à quelqu’un de particulier dans les étages ? Oui, c’est sans doute cela, il avertit 
sa dulcinée de son arrivée. Quelle plaie ! Comme si c’était nécessaire de gêner les gens pour passer 
l’information…  
Il est 12h20, il ne devrait pas tarder, c’est son heure… Je prépare mon repas, m’installe à table, sur le 
balcon… Je commence ma salade. Je mâche doucement. J’arrive au bout et il n’est toujours pas passé. 
Tiens, c’est étonnant, la première fois qu’il a du retard.  
Mais bon, peu importe, cela ne m’intéresse pas. Je reviens à mes plats cuisinés qui fleurent bon. Je me 
sers, une cuiller, puis deux, puis trois. C’est dingue ce silence ! J’ai de la chance d’habiter ce quartier, 
il est calme… Je respire. Allez, une quatrième cuiller, histoire de faire passer le temps. 
Il est quand même 12h33, il y a du passage à cette heure-ci habituellement, enfin je crois… Je me lève 
et vais vérifier que la rue d’en-bas n’a pas été fermée. Avec leurs travaux qui poussent comme des 
champignons, on ne sait jamais !  
Tout a l’air normal, je vois même passer quelques voitures. C’est étonnant, je n’avais pas entendu 
qu’elles faisaient du bruit, ça alors ! 12h50, mes petits pois sont sans saveur, je les ai ratés. D’ailleurs, 
tout me semble raté, je suis grognon.  
Je range tout en maugréant : pas de vie dans ce quartier, on s’ennuie, j’ai envie de me dégourdir les 
jambes. Je prends les escaliers, je vais faire un tour. En sortant de l’immeuble, je jette négligemment 
un regard au parc de stationnement deux roues. Il est vide. 
Mince, il ne faudrait pas qu’il ait eu un accident… Je reviens dans l’immeuble. Justement, des 
personnes sont dans le hall d’accueil, des résidents, je les reconnais. Pour la première fois, je leur 
parle. Ils me regardent, surpris et me sourient. 
Non, ils n’ont pas vu de scooter et non, ils ne connaissent pas son propriétaire… Ils s’en vont. Je 
souffle, agacée : pffft, à quoi ça sert d’être sociables si on ne sait rien de ses voisins ! Un homme en 
scooter qui klaxonne, forcément, cela se connaît !  
J’attends quelques instants dans le hall et je filtre tous les passages. Toute personne qui pénètre ou qui 
sort est interrogée. J’arrive à savoir son nom : Charles Fixier, 2ème étage, 3ème couloir. Ça alors, mais 
c’est à côté de chez moi, la porte à gauche !  
Mon cœur bat plus fort. Je ne l’ai jamais rencontré, je ne lui ai jamais parlé, mais j’ai partagé des 
choses avec lui : les senteurs de mes repas, mes bruits sur le balcon, et peut-être aussi les 
contemplations de la ville, le soir, à la nuit tombée.  
J’ai envie de le voir. Et s’il lui était arrivé quelque chose ? Un frisson me parcourt le dos. Je rejoins 
mon appartement en courant, je saute sur mon téléphone et j’appelle tous les hôpitaux. Pas de Charles 
Fixier.  
Je raccroche, fébrile, pour reprendre la liste. Et soudain, un « oui », je ris et pleure aussitôt. Où est-il ? 
J’y vais, j’y cours, j’y vole. Il est là, dans un lit blanc, des bandages pleins le corps… Oh non ! Je lui 
parle.  
Je lui dis que je suis sa voisine, que je me suis inquiétée, que je n’ai pas entendu son coup de klaxon 
habituel, que… La suite me paraît confuse. Je ne sais plus quoi dire d’autre, alors je me tais. Il a les 
yeux fermés, il ne me répond pas, je prends cela comme un geste d’encouragement à poursuivre. 
Moi, la sauvage, je lui parle comme jamais je n’ai échangé avec quelqu’un. Je lui raconte tout : mes 
recettes de cuisine, mes habitudes, mon plaisir à regarder la ville en solitaire, de mon balcon. Je lui 
demande s’il aime aussi cela.  
Je le remercie pour ses coups de klaxon. C’est sans doute pour tout le monde mais en tout cas, moi, je 
les apprécie. Je trouve cela sympathique, c’est gentil, cela fait plaisir… Une présence… Ils m’ont 
manqué aujourd’hui.  

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