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Jean-DiDier

et si c’était DéJà écrit ?

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bon quart d’heure sur un vieux canapé au cuir racorni, les 
jambes gênées par une table basse couverte d’anciennes 
revues et disposée trop près. Toute la pièce, d’ailleurs, 
semblait trop petite pour les meubles qui s’y trouvaient. 
Jack  éprouva  alors  une  sensation  diffuse  de  fatigue,  sa 
respiration devint oppressée, il se sentit engoncé dans ses 
vêtements. Sa poitrine lui faisait un peu mal, sa bouche 
était sèche. Jack sourit en faisant le compte de tous ces 
symptômes, se débarrassa de son manteau en se levant et 
chassa ainsi l’angoisse qui montait. Il se maîtrisait encore.

Morgan parut à la porte de la petite salle d’attente et 

observa Jack avant de le saluer. Déjà lors de leur première 
entrevue, il s’était montré particulièrement froid et scru-
tateur. Cette fois, il dépassait les limites de la politesse. 
Dans l’esprit de Jack, il ne faisait aucun doute que ce 
type voulait le mettre à l’épreuve, en même temps qu’il 
appréciait sans doute sa démarche. Morgan ne laissait 
pas passer grand-chose, parlait peu et observait beaucoup 
celui qui se tenait en face de lui, ce qui, de toute évidence, 
était censé rendre mal à l’aise. Jack n’était pas du genre 
à se laisser impressionner, mais il ne se sentait plus tout 
à fait naturel. À l’appréhension causée par la rencontre 
programmée avec Mike s’ajoutait la tension créée, peut-
être volontairement, par Morgan.

— Mon rôle dans cet hôpital est double. Je m’occupe 

des relations avec les volontaires dans votre genre, et je 
suis par ailleurs surveillant en chef du bloc psy, le service 

pilotis et des routes reliaient les pavillons entre eux de 
façon désordonnée. Tout laissait croire que durant cent 
ans,  on  avait  superposé  les  constructions  les  unes  aux 
autres, adaptant avec elles les rues de l’ancien quartier 
puis les sentiers du bois alentour. S’il y avait bien un plan, 
il avait dû être fait après-coup, estima Jack.

Jack connaissait bien sa ville et son histoire. Il savait 

que le petit clocher presque invisible au milieu des pavil-
lons surmontait l’église du quartier, qui avait été littérale-
ment avalée par l’hôpital. Autrefois entourée de quelques 
maisons et de prés, elle servait aujourd’hui de chapelle, 
minuscule élément religieux perdu au centre d’une usine 
à guérir les corps. « Les corps et les âmes », songea Jack 
en tentant de deviner lequel des pavillons était celui du 
service de psychiatrie, regardant de loin les dizaines 
de cheminées et conduits crachant d’épais panaches de 
vapeur ou de fumée de diverses couleurs. Chauffer, laver, 
blanchir, nourrir des milliers de malades en plus de les 
soigner… « Une usine, se dit Jack. Ça ressemble à une 
usine. Et dans cette usine, il y a en plus une prison. Et 
c’est là que je vais. »

Parvenu en haut des marches du bâtiment administratif, 

il poussa les doubles portes immenses barrées de cuivre. 
Le grand hall était quasiment vide, les pas de Jack réson-
naient sous la voûte alors qu’il marchait vers le bureau 
de l’accueil. Une employée à la fois jolie et désagréable 
lui indiqua une salle dans un des couloirs où il pourrait 
attendre Morgan, le surveillant en chef. Jack patienta un 

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